mardi 12 avril 2016

L'Information et l'Opinion Publique telles que nous les subissons.


[ rédigé à la mémoire de Jean Madiran, qui a contribué à la formation de mon esprit dans ma jeunesse.]

Lecture du Figaro à la suite de l'exhortation apostolique du Pape François Amoris Laetitia… « C’est officiel, le pape François entrouvre une porte de l’Église qui était jusque-là fermée aux divorcés-remariés. » !

Tous les médias se sont jetés en pâture, comme des morts-de-faim, sur les passages concernant les divorcés-remariés, suggérant que l’Église faisait son début de révolution, amorçait son profond changement. Je me marre.

L'information a pris, de nos jours, une importance exceptionnelle, mais est-elle bien sérieusement traitée ?

De l'information, au sens premier, du latin « informare », il s'agissait de « donner forme », au sens philosophique, que ce soit à une matière ou à une idée. Au sens second, il s'agit d'un terme juridique encore en usage, l'information étant l'ensemble des actes qui tendent à établir les détails d'une infraction ou d'un délit. On peut y donner un troisième sens, celui qui consiste à prendre des renseignements ; beaucoup de services d'état ont pris nom de service d'information. Ce n'est que plus tard qu'elle a signifié la recherche et la diffusion de nouvelles. De cet ensemble de définitions, il est facile de voir que l'information peut revêtir des aspects parfois divergents, entre neutralité, objectivité, poursuite du bien commun i.e. élever l'esprit en l'instruisant, et - a contrario – partialité, secret, filtrage des faits, pour ne retenir que l'essentiel, et donc manipulation des esprits.

L'opinion publique, elle, se prend pour « la reine du monde » (Pensées de Pascal), recherche l'extension de sa puissance, à l'instar d'une nouvelle religion, la religion de l'information, cette religion des temps du numérique. A l'origine, c'était la « rumeur », un avis répandu par les hommes et par le temps, éloigné de ce qui est objectif et certain, j'ai nommé le « savoir ». Les philosophes se sont exprimés sur ce monstre qui « gouverne le monde », de Voltaire à D'Alembert et Chamfort, lui qui résumait la chose ainsi ;: « L'opinion est la reine du monde parce que la sottise est la reine des sots. ». Je ne puis qu'applaudir à une telle sentence.

La question qui se pose est : qui sont les maîtres et les esclaves de l'opinion publique ? Sont-ce les philosophes, les écrivains, les penseurs, les journalistes… qui fabriquent l'opinion ou – inversement – ces gens là ne sont-ils pas dans la situation où ils « suivent » l'opinion, au lieu de la guider ?

La seconde question est alors: si l'opinion publique est forgeable et constructible, quid des dogmes, croyances, erreurs et préjugés qui la caractérisent ? Question terrible, car dans un climat où l'opinion publique est reine du monde, il faut beaucoup de courage et d'énergie pour ne pas la flatter davantage, aller dans son sens, ne point la contredire, ne pas s'y opposer… sous peine de passer pour un réac, un complotiste, un incroyant ou que sais-je encore. Une sale maladie ! Comment en guérir ?

L'Histoire nous répond. En face d'une opinion publique qui se prosterne aux pieds de ses idoles, la liberté, le progrès, la civilisation moderne (les idées issues de la Révolution) il y eut quelques Papes et autres philosophes chrétiens qui ont balayé le naturalisme de ces notions et replacé Dieu au centre. Pie XII par ex. en disait qu'elle était «  une impression factice et superficielle, rien d'un écho spontanément éveillé… d'un conformisme aveugle et docile des pensées et jugements.» Mais la substance réelle de leur opposition ne parvint jamais à faire diminuer l'influence de l'opinion publique dans les sociétés. D'où il ressort clairement qu'il n'est pas possible de s'en guérir par des moyens du même ordre que l'opinion : la parole, l'enseignement, la controverse, le débat, le dialogue. L'opinion publique est hermétique à tout cela, imperméable aux arguments, rivée dans son état d'auto-suffisance, d'auto-certitude, d'auto-satisfaction, jugeant de tout mais ne voulant pas être jugée.

Reste donc un méthode encore possible : l'information.

La « presse d'opinion », avec ses éditoriaux et chroniques de réflexion bien fouillés, a presque totalement disparu de nos jours, remplacée par une « presse d'information » dont le but premier est de vendre ou faire de l'audimat.

Alors… la diffusion de nouvelles ? Les chaînes d'info en continu nous ont habitué à attendre toujours, en permanence ce qui est nouveau, ce qui vient de se produire. Un journal qui afficherait en titre ou en manchette « Rien de nouveau aujourd'hui » n'aurait assurément aucune chance d'être lu ou écouté.

Annoncer que Poutine viendrait d'être renversé, ça ce serait une nouvelle ; en revanche, le fait de dire que la Russie ne change pas d'un iota sa ligne de politique étrangère n'intéresse personne.

Dire que les Cardinaux ont évoqué le possible mariage des prêtres, ou que le Pape a ouvert « une porte aux divorcés remariés », voilà une info qui se vend bien ; mais rappeler que le St. Siège ne change rien sur le plan de la doctrine, invite juste au discernement, rappeler que les portes de l’Église sont ouvertes depuis plus de vingt siècles, dans la permanence de ses commandements, ce n'est pas de l'information pour nos journaleux.

Il y a donc l'information telle qu'elle est attendue, espérée, tentation pour l'informateur d'en faire des plats énormes, d'y mettre l'accent, de grossir le trait… au détriment de ce qui reste durable, permanent. L'esprit de « l'informé » s'habitue progressivement à considérer que la seule information qui vaille, c'est le changement, tout ce qui change dans l'univers, une sorte de mouvement perpétuel qui relègue dans l'ignorance des nouveautés plus réelles, plus profondes : les idées, et la permanence des idées.

Je viens de parler de « l'informé », l'homme informé est un homme qui sait, il devrait – logiquement – être informé du fait brut, par ex. « le pape est mort. » là au moins, cette nouvelle est vraie ou fausse dans l'absolu. Mais si l'info reçue est « le Pape vient de publier une exhortation apostolique. » l'essentiel de l'information lui manque. Or, combien de fois l'informé ne fait même plus attention à cela ? Un homme informé n'est informé ni de seconde main, ni par des résumés.

Le Pape, en Bon Pasteur, vient juste de rappeler que l’Église ouvrait la porte de nos coeurs, pas une porte aux idées révolutionnaires. Dommage pour nos « informateurs » officiels et patentés.

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