26 janvier 2016
Règlement de compte à Fidjrossè – Acte I
J'étais invité samedi soir à une soirée barbecue chez un ami, que j'appellerai Sam pour préserver la confidentialité, un garçon qui cultive plusieurs talents, du massage californien, shiatsu et réflexologie plantaire, à la musique africaine ; en bon musicologue, il collectionne les vinyles des 60'-70' enregistrés en afrique et particulièrement au Nigeria, il en détient plus de cinq cent, dont certains titres - extrêmement rares – réaliseraient des performances lors des ventes aux enchères parisiennes. Sa cabane du bord de mer ressemble à celle de Robinson Crusoé : un assemblage hétéroclite de bois, de bambous, de cordes enrichies de coquillages et des tissus multicolores. Des hamacs et de simples plots servant de tabouret forment l'ensemble du mobilier. Pour vous le dire en deux mots : c'est rustique. Mais ça me plaît. Du haut de la cabane, on domine la route des pêches, comme du haut d'une tour de vigie, ce qui permet de voir ce qui se passe sur le bord de mer : les pêcheurs remontant leurs immenses et lourds filets (ça dure près de trois heures), les bonnes dames qui attendent l'arrivée des poissons qu'elles emmèneront vendre à la ville, les motos qui passent, dont certaines conduisent des élèves vers une école de théâtre située un peu plus loin, dans un cadre magnifique : l' « Atelier Nomade », ou « École Internationale de Théâtre du Bénin », dirigée par Alougbine Dine, acteur, danseur et metteur en scène béninois très connu, qui a porté sur les planches plusieurs pièces de Jean Pliya. Je vous invite d'ailleurs à découvrir son travail en allant faire un tour sur son site internet… Mais mon sujet, aujourd'hui, n'est pas là.
Et donc, pour cette petite soirée, tout était prévu à Togbin-Plage, mais au dernier moment, pour des raisons d'organisation matérielle et de transport, le lieu fut déplacé à Fidjrossè, vers la fin du pavé, la route des pêches n'étant pas aisément circulable de nuit, avec le sable et l'obscurité. Nous voilà donc introduits dans une grande maison familiale à deux étages, des « cousins » à Sam, dotée d'un labyrinthe de pièces immenses et pourvue de plusieurs terrasses, dont celle dédiée à la fête, une centaine de mètres carrés environ, avec vue sur la plage. Ici n'habitent pas que les cousins, mais aussi une foultitude d'étudiants locataires d'une chambre. L'ambiance de la soirée, avec la musique, une cuisine élaborée (merci les filles) et des boissons à volonté, allait satisfaire mon attente : beaucoup de convivialité et des discussions intéressantes, pour une fois en français et pas en fon, ce que – ma foi – j'ai trouvé plaisant.
Tôt le matin, tout le monde a quitté la fête avec satisfaction, enfin … tout le monde, sauf Sam qui s'était endormi dans un coin. C'est là, justement, le point de départ du problème qui allait l'assaillir et gâcher le lendemain de la soirée. Le samedi soir, il avait garé sa moto dans l'une des cours intérieures de la maison, ordinairement fermée par un portail solide. Or, le matin, plus de moto. Un voleur était passé par là. Entre temps, la moto avait été utilisée pour aller chercher des cigarettes au quartier par l'un des cousin que je nommerai Enzo, le maître de céans, qui fut donc le dernier à en avoir pris la responsabilité et en détenir la clé de contact.
L'explication Sam-Enzo va monter en température au cours de la journée dominicale… Pour le premier, il est impensable que sa moto ait pu disparaître sans qu'Enzo en sache quelque chose, d'autant qu'il a affiché une certaine désinvolture le matin en apprenant la nouvelle ; en tant que chef de maison, c'est lui le responsable. Sam dépose donc plainte au commissariat, diligente les policiers vers le lieu du délit et fait auditionner les différents témoins. Le résultat ne se fait pas attendre. Enzo est emmené en cellule en attendant d'être déféré devant un juge pour abus de confiance. Je connais déjà ce type de procédure policière expéditive à la suite de laquelle se retrouvent souvent en garde à vue des personnes dont le seul tort est de voir reposer sur elles de simples soupçons, sans l'ombre de la moindre preuve matérielle ; j'en suis personnellement choqué, mais – hélas – c'en est ainsi en afrique : on emprisonne vite et bien, et parfois des innocents. J'ai fait part à Sam de mon opposition à sa démarche aveugle et accusatrice, et dimanche soir, j'ai même refusé de l'accompagner pour porter la soupe au prisonnier. Car – oui – on a beau être fâché, en embrouille avec quelqu'un, il n'en reste pas moins qu'un prisonnier en cellule a besoin de manger, et que la fraternité africaine reste de règle, même en ces moments là.
A l'heure où j'écris ces lignes, la conclusion de cette malheureuse affaire n'est pas encore écrite, sauf que les derniers éléments de l'enquête tendraient à innocenter Enzo ; le vol aurait été commis par l'un des locataire de la maison qui aurait été vu, au petit matin, sortant la moto de la cour. Ce matin, celui-ci doit se présenter à une convocation du commissariat, et ce sera la confrontation entre sa parole et la validité du ou des témoignages. En attendant, hier soir, le pauvre Enzo restait derrière les barreaux, et ma petite visite lui a sans doute remonté un peu le moral. Les cousins, eux, sont catastrophés : leur frère croupit dans une cellule depuis plus de quarante huit heures. Ce sont eux qui me mettent au courant des nouveaux développements de l'enquête. A propos de Sam, ils ne tarissent pas de critiques. Et aussi d'interrogations. Comment a-t-il pu porter plainte contre Enzo, son ami, son frère, qui l'avait accompagné au Nigeria au cours de la même semaine à la recherche de vinyles anciens ? Pourquoi refuse-t-il de discuter, de venir leur parler afin de trouver une solution satisfaisante à cette situation, qui – en Europe – serait considérée comme totalement ubuesque car contraire au droit, endroit où la liberté est la règle, sa privation, l'exception. J'ai eu Sam au téléphone hier dans la soirée… il n'en démord pas. Il veut sa moto, ou bien son voleur, et il ne parvient pas à admettre que, dans la propre maison d'Enzo, celle-ci ait pu disparaître sans que quelqu'un ne soit au courant. Si je puis résumer sa position, elle forme le pari que le fait d'enfermer Enzo va établir un nouveau rapport de forces chez les occupants de la maisonnée, obligeant certains à briser cette espèce d'omerta qui recouvre la vérité d'une voile pudique. On verra bien ; journée cruciale que ce mardi...
[à suivre]
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire