[
rédigé
à la mémoire de Jean Madiran, qui
a contribué à la formation de mon esprit dans ma jeunesse.]
Lecture
du Figaro à la suite de l'exhortation apostolique du Pape François
Amoris Laetitia… « C’est
officiel, le pape François entrouvre une porte de l’Église qui
était jusque-là fermée aux divorcés-remariés. » !
Tous
les médias se sont jetés en pâture, comme des morts-de-faim, sur
les passages concernant les divorcés-remariés, suggérant que
l’Église faisait son début de révolution, amorçait son profond
changement. Je me marre.
L'information
a pris, de nos jours, une importance exceptionnelle, mais
est-elle bien sérieusement traitée ?
De
l'information, au sens premier, du latin « informare »,
il s'agissait de « donner forme », au sens philosophique,
que ce soit à une matière ou à une idée. Au sens second, il
s'agit d'un terme juridique encore en usage, l'information étant
l'ensemble des actes qui tendent à établir les détails d'une
infraction ou d'un délit. On peut y donner un troisième sens, celui
qui consiste à prendre des renseignements ; beaucoup de
services d'état ont pris nom de service d'information. Ce n'est que
plus tard qu'elle a signifié la recherche et la diffusion de
nouvelles. De cet ensemble de définitions, il est facile de voir que
l'information peut revêtir des aspects parfois divergents, entre
neutralité, objectivité, poursuite du bien commun i.e. élever
l'esprit en l'instruisant, et - a contrario – partialité, secret,
filtrage des faits, pour ne retenir que l'essentiel, et donc
manipulation des esprits.
L'opinion
publique, elle, se prend pour « la reine du monde »
(Pensées de Pascal), recherche l'extension de sa puissance, à
l'instar d'une nouvelle religion, la religion de l'information, cette
religion des temps du numérique. A l'origine, c'était la
« rumeur », un avis répandu par les hommes et par le
temps, éloigné de ce qui est objectif et certain, j'ai nommé le
« savoir ». Les philosophes se sont exprimés sur ce
monstre qui « gouverne le monde », de Voltaire à
D'Alembert et Chamfort, lui qui résumait la chose ainsi ;:
« L'opinion est la reine du monde parce que la sottise est la
reine des sots. ». Je ne puis qu'applaudir à une telle
sentence.
La
question qui se pose est : qui sont les maîtres et les esclaves
de l'opinion publique ? Sont-ce les philosophes, les écrivains,
les penseurs, les journalistes… qui fabriquent l'opinion ou –
inversement – ces gens là ne sont-ils pas dans la situation où
ils « suivent » l'opinion, au lieu de la guider ?
La
seconde question est alors: si l'opinion publique est forgeable et
constructible, quid des dogmes, croyances, erreurs et préjugés qui
la caractérisent ? Question terrible, car dans un climat où
l'opinion publique est reine du monde, il faut beaucoup de courage et
d'énergie pour ne pas la flatter davantage, aller dans son sens, ne
point la contredire, ne pas s'y opposer… sous peine de passer pour
un réac, un complotiste, un incroyant ou que sais-je encore. Une
sale maladie ! Comment en guérir ?
L'Histoire
nous répond. En face d'une opinion publique qui se prosterne aux
pieds de ses idoles, la liberté, le progrès, la civilisation
moderne (les idées issues de la Révolution) il y eut quelques Papes
et autres philosophes chrétiens qui ont balayé le naturalisme de
ces notions et replacé Dieu au centre. Pie XII par ex. en disait
qu'elle était « une impression factice et superficielle, rien
d'un écho spontanément éveillé… d'un conformisme aveugle et
docile des pensées et jugements.» Mais la substance réelle de leur
opposition ne parvint jamais à faire diminuer l'influence de
l'opinion publique dans les sociétés. D'où il ressort clairement
qu'il n'est pas possible de s'en guérir par des moyens du même
ordre que l'opinion : la parole, l'enseignement, la controverse,
le débat, le dialogue. L'opinion publique est hermétique à tout
cela, imperméable aux arguments, rivée dans son état
d'auto-suffisance, d'auto-certitude, d'auto-satisfaction, jugeant de
tout mais ne voulant pas être jugée.
Reste
donc un méthode encore possible : l'information.
La
« presse d'opinion », avec ses éditoriaux et chroniques
de réflexion bien fouillés, a presque totalement disparu de nos
jours, remplacée par une « presse d'information » dont
le but premier est de vendre ou faire de l'audimat.
Alors…
la diffusion de nouvelles ? Les chaînes d'info en continu nous
ont habitué à attendre toujours, en permanence ce qui est nouveau,
ce qui vient de se produire. Un journal qui afficherait en titre ou
en manchette « Rien de nouveau aujourd'hui » n'aurait
assurément aucune chance d'être lu ou écouté.
Annoncer
que Poutine viendrait d'être renversé, ça ce serait une nouvelle ;
en revanche, le fait de dire que la Russie ne change pas d'un iota sa
ligne de politique étrangère n'intéresse personne.
Dire
que les Cardinaux ont évoqué le possible mariage des prêtres, ou
que le Pape a ouvert « une porte aux divorcés remariés »,
voilà une info qui se vend bien ; mais rappeler que le St.
Siège ne change rien sur le plan de la doctrine, invite
juste au discernement, rappeler que les portes de l’Église sont
ouvertes depuis plus de vingt siècles, dans la permanence de ses
commandements, ce
n'est pas de
l'information
pour
nos journaleux.
Il
y a donc l'information telle qu'elle est attendue, espérée,
tentation pour l'informateur d'en faire des plats énormes, d'y
mettre l'accent, de grossir le trait… au détriment de ce qui reste
durable, permanent. L'esprit de « l'informé » s'habitue
progressivement à considérer que la seule information qui vaille,
c'est le changement, tout ce qui change dans l'univers, une sorte de
mouvement perpétuel qui relègue dans l'ignorance des nouveautés
plus réelles, plus profondes : les idées, et
la permanence des idées.
Je
viens de parler de « l'informé », l'homme informé est
un homme qui sait, il devrait – logiquement – être informé du
fait brut, par ex. « le pape est mort. » là au moins,
cette nouvelle est vraie ou fausse dans l'absolu. Mais si l'info
reçue est « le Pape vient de publier une exhortation
apostolique. »
l'essentiel de l'information lui manque. Or, combien de fois
l'informé ne fait même plus attention à cela ? Un homme
informé n'est informé ni de seconde main, ni par des résumés.
Le
Pape, en Bon Pasteur, vient juste de rappeler que l’Église ouvrait
la porte de nos coeurs, pas une porte aux idées révolutionnaires.
Dommage pour nos « informateurs » officiels et patentés.